DANS LA MARGE

et pas seulement par les (dis) grâces de la géographie et de l'histoire...

vendredi 24 avril 2009

P. 105. Léopold De Hulster : lettre depuis la prison de Namur

Portrait et graphisme (DR).

Léopold De Hulster :
- Seraing, 19 septembre 1899,
- Mauthausen, 22 décembre 1944.

Après la Maison de la Laïcité de Namur qui lui consacra une plaquette en 2007 (1), une émission de "La Pensée et les Hommes" sur les ondes de la RTBF (2) vient de rappeler les traces à la fois profondes et légères laissées par Léopold De Hulster, mort d'épuisement à Mauthausen.
Empreintes très personnelles sur les pages déchirées et déchirantes de la vraie résistance belge. Mais encore traînées d'encre têtue d'un journalisme pauvre mais honnête. Chiffon au rouge passé du socialisme quand il s'appelait sans complexe Parti Ouvrier Belge. Eau non bénite d'une laïcité namuroise en terre bien gardée d'évêché.

Léopold De Hulster : mineur de fond, sabotier, verrier, responsable d'union coopérative, journaliste (succédant à mon grand-père maternel), raisonnablement fou d'éducation ouvrière, échevin populaire sans jamais tomber dans le populisme, précurseur des Centres d'orientation psycho-médico-sociaux de la province de Namur... Pas un touche-à-tout mais toujours un passionné, un engagé, un bâtisseur et un bel idéaliste.

Dès l'occupation nazie, il brisa aussitôt sa plume, refusant d'écrire un seul mot sous contrôle allemand ou qui plus aurait été, en collaborant à leur service. Seuls "L'Espoir", "Le Peuple" et "Le Monde du Travail" portèrent dans la clandestinité ses articles. Une clandestinité intégrant une reconstruction souterraine mais active du socialisme. Plus la démoralisation organisée des troupes du IIIe Reich via le réseau Porcupine Mandrill dont il portait la responsabilité pour les provinces de Namur et du Luxembourg.

Dénoncé (c'est un fait avéré), Léopold De Hulster fut arrêté le 30 juin 1944 à son bureau de l'Office d'orientation professionnelle à Saint-Servais. La Gestapo de l'avenue de Stassart s'empare ensuite de son épouse, Jeanne Delsine.
Mis derrière les barreaux de la prison de Namur, le résistant écrit à ses deux enfants, Paulette et Luc. Sur du papier à cigarettes. C'est ce dernier courrier que va porter cette page du blog :

Chers petits enfants,

Je suis certain que le grand malheur qui vous a privé d'un coup de votre maman chérie et de votre papa, aura influencé votre caractère et que vous êtes manitenant de grands enfants qui savent ce que c'est qu'une grande peine.

Mes petits, votre papa est en prison pour avoir fait ce qu'il considérait être son devoir.


Malgré le grand chagrin que j'éprouve d'être séparé de vous et de savoir votre maman en prison, votre papa ne regrette pas le travail qu'il a accompli contre l'ennemi de notre pays.

Vous apprendrez plus tard que le devoir passe avant même les plus grandes affections. Je vous aime cependant plus que ma vie que je donnerais cent fois pour conserver la vôtre, mais j'ai accompli mon devoir comme un soldat en essayant d'oublier que vous étiez là. Si le travail effectué par votre papa a pu aider à quelque chose, il accepte la punition qui lui est infligée sans se plaindre. Je n'ai qu'un regret, celui-là très dur, c'est de savoir votre maman dans cette sombre prison. Aimez-là bien. Pensez souvent à elle et j'espère un peu à votre papa. Travaillez bien. Etudiez autant que vous pouvez. Il faut, quand votre maman vous retrouvera, que vous ayiez fait de grands progrès.

Vous n'êtes plus que vous deux, il faut bien vous aimer et vous aider. Ne soyez pas tristes. Maman sortira bientôt de la prison, vous serz encore heurex. Votre papa ne désespère pas de vous revoir aussi et de vous embrasser, comme il le fait chaque fois sur les photos qu'il a de vous.

Mes deux chéris, votre papa pense à vous sans cesse ; nous nous retrouverons tous ensemble.

Bons baisers.
Papa.

Mauthausen, déportés avant l'épouillage (DR).

Jeanne de Hulster, née le 11 septembre 1906, avait de qui tenir. Elle était fille de Léon Delsinne, carrier puis ouvrier carrossier qui a force d'études, devint directeur de l'Ecole Ouvrière supérieure et directeur politique du quotidien "Le Peuple".
Active également dans la résistance - ainsi la protection d'aviateurs alliés abattus -, elle est donc arrêtée le 30 juin 1944. Après interrogatoire de la Gestapo, Jeanne De Hulster est déportée à Cologne puis à Ravensbrück. A sa libération, le 14 mai 1945, elle ne pèse plus que 38 kg...
Son décès remonte au 16 juin 1995. Elle termina sa carrière professionnelle au poste d'inspectrice de l'Enseignement.


NOTES :

(1) Edition Michel Paus, Président de la Maison de la Laïcité de Namur, septembre 2007, 20 p.
(2) Radio-Télévision Belge Francophone (service public).

A l'exception de Mauthausen, crédit photos : Jacquy Marchal, Clément Thonet.

8 commentaires:

Dominique Hasselmann a dit…

Très intéressant, je ne connaissais pas ce résistant et on oublie souvent qu'il y en eut aussi en Belgique.

JEA a dit…

@ Dominique Hasselmann :
pour avoir un ordre de grandeur
- en Belgique, les Allemands et leurs collabos ont procédé à 41.252 envois vers les camps pour faits de résistance,
- 13. 958 déportés y perdirent la vie.

Luc De Hulster a dit…

Le texte est excellent et j'apprécie
les termes utilisés. Merci aussi d'avoir associé maman.

Luc De Hulster

Chr. Borhen a dit…

JEA, pourquoi (vous) découvrir si tard ? M'en vais réparer ça d'urgence.
Merci.

JEA a dit…

@ Chr. Borhen
Lancer les dés couverts par l'immunité littéraire et passer derrière les horizons...

Loïs de Murphy a dit…

Je n'arrive pas à laisser de commentaire sous votre dernier article : merci pour ces mots superbes sur la fleur de poirier.

JEA a dit…

@ Lois de Murphy
Celui qui s'est déjà entr'ouvert un doigt avec un Opinel, ne peut que vous remercier à son tour.

Tania a dit…

Un courrier très touchant - devoir écrire ces mots !