DANS LA MARGE

et pas seulement par les (dis) grâces de la géographie et de l'histoire...

jeudi 26 février 2009

P. 81. Au Nord, il y avait des polars...

Une mode serait aux romans policiers nordiques.
Sans céder à une attraction, ni à une répulsion...
Quelques pages pour respirer ces atmosphères-là.


N'étant point amateur éclairé de ce style de littérature et pas plus connaisseur des écrivains du Nord, je n'ai comme balises sur la banquise des bouquins policiers ourlés de neige qu'Henning Mankell et son commissaire Wallander. Une Suède qui n'a plus rien d'un paradis social. Tellement plus porteuse de nuances grises et étouffantes que de blancheur apaisante et rafraîchissante. Et un honnête homme (non au sens légal mais plutôt philosophique) qui tente de garder un sens gumaniste à son métier de policier dans une société où les déraillements se diversifient et s'aggravent.
Arlandur Indridason, lui, écrit l'Islande et décrit un autre commissaire, Erlendur, tout aussi paumé au présent et angoissé devant l'avenir. Dans ses romans, quand on est du continent et pas vraiment au Nord, le mot "ethnographie" se glisse entre les lignes. Pas au sens pédant ni en alourdissant les intrigues. Juste comme une indispensable toile de fond. Une Islande non de carte postale mais de l'intérieur, y compris avec ses cadavres dans des armoires soigneusement mises à l'écart des regards des touristes.
Puis il y eut l'implosion due à Stieg Larsson et à ses trois volumes de Millenium. L'auteur est mort subitement, la plume encore à la main, comme ayant sa vie vampirisée par ses deux personnages : Mikael Blomkvist et Lisbeth Salander. Ce succès de librairie qui perduren a grandes ouvertes les portes à de nombreuses traductions (en Français notamment) et à des publications d'autres polars du Grand Nord.
Parmi ceux-ci, Ake Edwarson, Suédois lui aussi. Très différent de Mankell, d'Indridason et de Larsson. Très complémentaire aussi.


Premier roman d'Ake Edwarson, Danse avec l'ange, traduit du Suédois par Anna Gibson, Ed. 10/18, Paris, 2008, 429 p.

Quatrième de couverture :

- "Göteborg, deuxième ville de Suède logée entre terre, mer et montagne, dont le seul nom chante la magie du Grand Nord... Ce décor idyllique s'effrite sous la plume d'Ake Edwardson. Par le prisme de l'enquête policière, ici restituée dans ses moindres hésitations, doutes et tracasseries administratives, l'auteur autopsie les affres d'une âme nordique en proie aux pires maux des sociétés contemporaines. Erik Winter est le témoin privilégié de cette déliquescence. Dandy un brin désabusé et sans illusions quant aux chances véritables de la justice, le plus jeune commissaire de la police suédoise va se montrer très rigoureux lorsqu'une série de meurtres barbares endeuille sa ville natale."

Photo : Ake Edwarson (DR).

Pas question, sur ce blog, de décrire l'intrigue (les intrigues) de ce roman à la fois touffu et limpide. Et encore moins de trahir son dénouement.
Mais quelques arrêts au long des 429 pages. Des images. Des odeurs. Des couleurs. Des sons. Bref, des atmosphères glissées entre les dialogues et qui imprègnent tout ce roman, lui offrant des profondeurs originales.

Crépuscule pour le plus jeune commissaire de Suède :

- "Winter entendit un chant d'oiseau. L'asphalte était sec, mais la neige s'attardait, inquiète, sous les pins du parc. Le froid avait décollé au cours de la nuit et pris son envol vers le nord."
(P. 82).

Aube pour un inspecteur :

- "Lars Bergenhem frissonna dans sa cuisine, fit un café, regarda par la fenêtre. Les arbres étaient enveloppés de plusieurs couches de vapeur froide. La fumée montait là-bas, dehors, les couleurs du paysage se condensaient au sortir de la nuit. Comme si elles revenaient d'une cure de sommeil, pensa-t-il, comme si elles avaient repris assez de force pour se glisser à nouveau dans les choses. Un genévrier, jusque-là pâle et transparent, reprit ses couleurs peu après huit heures ; la clôture à peine visible un instant plus tôt émergea de la blancheur, retrouva ses contours. Sa voiture se mit à briller sous sa capuche de neige, touchée par une giclure de soleil."
(P. 158).

Winter à Londres :

- "Dans Earl's Court Road, il respira les odeurs de la ville : essence brûlée, poisson frit, détritus pourrissants, et puis cette odeur de pierre et de poussière de rue qu'on trouve dans les villes très anciennes, cette odeur qui pique le nez. Quand il pleut à Londres, pensa-t-il, elle se mêle à l'eau et devient un ciment qui obstrue les yeux et les narines.
Il sentit aussi la présence du printemps, au milieu du flot des voitures. Le soleil était là, masqué par une brume anglaise. Un début de printemps plus chaud que celui de Göteborg. Il en avait vu les signes en venant de l'aéroport. Une partie du trajet de la ligne Piccadilly Ligne se faisait à ciel ouvert, en passant par Hounslow, Osterley, Ealing et Acton : les érables en pleins préparatifs, les jardins tirés de leur sommeil, les enfants pourchassant à nouveau le ballon sur les étendues d'Osterley Park. Les enfants couraient toute l'année mais jamais comme au début du printemps."
(P. 234).

Photo : Soho Square (Graph. JEA, DR).

Oiseaux londoniens :

- "Ils s'assirent sur un banc ensoleillé au milieu de Soho Square. Winter avait laissé son manteau ouvert. Le printemps précoce caressait son visage : un oiseau anglais lui chanta une composition originale. (...)
L'oiseau dans l'érable avait été rejoint par des collègues, sans doute stimulés par la présence du public sur le banc. Le choeur proposait un pot-pourri de ses classiques printaniers."
(P. 283).

Sonneries scolaires à Göteborg :

- "Le ciel était terriblement bleu. Aucun nuage. En arrivant devant l'école, il entendit une sonnerie acide. Ce bruit-là n'a pas changé, songea-t-il. Les réformes scolaires vont et viennent mais personne ne s'attaque à la sonnerie scolaire. Toutes les heures que j'ai pu passer à attendre la sonnerie. Toutes ces heures en classe où je ne faisais rien d'autre que d'attendre."
(P. 360).

Jazz des petites heures :

- "McCoy Tyner jouait l'intro de I wish I knew. Il était minuit passé. Winter, assis dans le noir, attendait que l'aube traverse la nuit jusqu'à lui. John Coltrane Quartet jouait la musique des petites heures.
Winter se leva, décrivit un cercle dans le séjour. L'écran de l'ordinateur, sur la table derrière lui, se reflétait dans les fenêtres comme un carreau de lumière liquide.
Il avait écrit un nouveau scénario, s'était levé au moment où l'atroce récit approchait de sa fin. Coltrane jouait It's easy to remember. Tu parles, pensa Winter tandis que le court morceau planait librement dans la pièce. 1966. Coltrane l'avait enregistré cette année-là. Winter avait six ans.
Il laissa le disque se finir et mit Charlie Haden et Pat Metheny, la sensation planante intacte. C'était une musique pour les souvenirs - même du genre de ceux qui le faisaient marcher ainsi en cercle."



Charlie Haden et Pat Metheny, The Moon Song.


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