DANS LA MARGE

et pas seulement par les (dis) grâces de la géographie et de l'histoire...

samedi 28 février 2009

P. 82. Nous parlons encore et toujours sans-culotte...

Présentation par l’Editeur :

- "Le Père Duchesne, le célèbre journal de Jacques René Hébert, parut de 1790 à 1794.

Journaliste de génie, à l’avant-garde du combat révolutionnaire, Hébert se fit, à l’apogée de son influence politique, l’écho et le porte-parole des sans-culottes parisiens.
À coups de métaphores familières, de jurons désopilants, de situations improbables, il savait faire mouche et mettre les rieurs de son côté, qu’il s’agisse de railler le « daron » (Louis XVI), l’« architigresse » (Marie-Antoinette) ou le « général Blondinet » (La Fayette).
Son héros, le Père Duchesne, toujours heureux de « s’en foutre une pile » en « étouffant des enfants de choeur » à la santé de la Nation, voulait « dépapiser Rome », « foutre à la lanterne » les aristocrates et faire monter dans la « voiture à trente-six portières » (la charrette des condamnés) les adversaires de la Révolution. Hébert lui-même allait périr en mars 1794, victime de la « cravate du docteur Guillotin ».
Les mots du Père Duchesne traduisent, parfois avec outrance, souvent avec justesse, la culture de la rue, le climat politique d’une époque, et sa radicalisation entre 1790 et l’an II. Plus encore, ils témoignent de la richesse d’une langue, de ses évolutions et de ses survivances dans le parler quotidien et l’« argot » de notre siècle."

L’auteur :


- "Agrégé d'histoire et docteur de l'université Paris I, Michel Biard est professeur d'histoire du monde moderne et de la Révolution française à l'université de Rouen. Il dirige en outre les Annales historiques de la Révolution française.
On lui doit notamment Collot d'Herbois. Légendes noires et Révolution (1995), Missionnaires de la République. Les représentants du peuple en mission, 1793-1795 (2002), La Révolution française. Dynamiques, influences, débats, 1787-1804 (avec Pascal Dupuy, 2004) et Les Lilliputiens de la centralisation. Des intendants aux préfets : les hésitations d'un " modèle français " (2007).


"La République ou la mort..." (DR).

Laurent Lemire :

- "Le Père Duchesne était un journal redoutable, virulent, contestataire et ordurier. Il s’y exprimait néanmoins le langage de la rue. Entre deux réunions politiques, Jacques René Hébert (1757-1794) traînait ses guêtres sur les trottoirs de la Révolution. Il en relevait les mots, les figures, les idées qu’il distillait dans son journal qui parut de 1790 – 1794. Il alimenta la Terreur en dénonçant le « modérantisme » de l’Incorruptible Robespierre et finit lui aussi la « cravate du docteur Guillotin » autour du cou.
(…)
Dans ce dictionnaire plein de malices et d’irrévérences, c’est la rue révolutionnaire qui résonne avec sa truculence et ses trouvailles qui perdureront dans la langue verte. D’ailleurs aujourd’hui, le gouvernement pourrait trouver dans le Père Duchesne quelques expressions toujours bien compréhensibles par le bon peuple comme « nous allons dorer la pilule pour te la faire avaler plus facilement »...
(l’@mateur d’idées, 30 janvier).

Jacques René Hébert (DR).

Jérôme Gautheret :

- "Le Père Duchesne, c'est un type comme vous et moi. Un sans-culotte sans histoires, un citoyen comme tout le monde. Un quidam, quoi. Ce personnage imaginaire est né au XVIIIe siècle, au milieu des bateleurs et des poissardes, dans les baraques de foire des faubourgs de Paris. A la faveur des bouleversements révolutionnaires, ses aventures ont été reprises au théâtre, puis dans des journaux. L'un d'entre eux fut porté par un plumitif de talent, Jacques-René Hébert (1757-1794), ancien employé du Théâtre des Variétés devenu un des leaders de la section des Cordeliers. Son Père Duchesne s'imposa comme le journal de référence de tous les sans-culottes.


Outrancier, violent, ordurier, il avait tout pour plaire. Et comme on dit de nos jours, l'auteur assumait. "Si j'avais voulu trancher un bel esprit, je m'en serais aussi bien tiré qu'un autre. Moi aussi, je sais parler latin ; mais ma langue naturelle est celle de la sans-culotterie ; j'aime mieux être des pauvres bougres (...) que de prendre le ton de nos journalistes freluquets qui, pour plaire aux petites maîtresses et aux prétendus honnêtes gens, n'osent nommer les choses par leur nom. Il faut jurer avec ceux qui jurent, foutre !"

Comme la Terreur a mal tourné, depuis deux siècles, le Père Duchesne a plutôt mauvaise presse. Pourtant, Michel Biard, directeur de la revue des Annales historiques de la Révolution française, a entrepris de lui rendre honneur, d'une manière assez inattendue. Il a exhumé, dans les quelque 400 numéros du journal d'Hébert, les mots et expressions typiques du "parler sans-culotte", et en a retracé le sens, et l'origine. Le résultat est un dictionnaire inattendu, à la fois hilarant et érudit."
(Le Monde, 26 février)

Fabrice Pliskin :

- "Bon connaisseur de notre histoire nationale, Sarkozy rappelait récemment que la France est un «pays régicide». Un dictionnaire de l'historien Michel Biard vient confirmer cette expertise. «Parlez-vous sans-culotte ?» recense les tonitruants idiomes du «Père Duchesne», le journal de Jacques René Hébert, paru entre 1790 et 1794.
A l'origine, la figure populaire du père Duchesne n'est pas une invention de Hébert; elle est née sous la plume d'un auteur anonyme en 1788, l'année où le roi consent à convoquer les Etats généraux. Dans sa première apparition, on voit ce gueux fondamental inspecter les fourneaux du souverain à Versailles et donner un coup de truelle sur les ongles du dauphin.
«Tous ceux qui aiment la franchise et la probité ne s'effarouchent pas des bougres et des foutres dont je larde, par-ci, par-là, mes joies et mes peines», avertit Hébert dans sa prose coupante comme la «cravate du Docteur Guillotin».

Dans son journal, le grand démagogue du club des Cordeliers travaille à «débadauder» (détromper) son lecteur, à «mettre en cannelle» (en pièces) les «marchands de phrases», les faiseurs d'«aristracasseries» et les «foutus frelons qui mangent le miel des laborieuses abeilles».
Toute coïncidence entre cette époque «monarchieuse» et la nôtre serait évidemment fortuite, comme toute similitude entre l'«architigresse» (Marie-Antoinette) et la première dame de France ou entre la «clistérisation» de Louis XVI et les exercices de musculation intimes du président, dont se gobergent toutes les gazettes d'Angleterre.

Hébert fut guillotiné à son tour en 1794. Il va sans dire que ce poète terroriste eût voué à l'échafaud l'auteur de cet article rédigé dans une «langue sucrée» et languissamment sociale-démocrate."
(Le Nouvel Observateur, 5 février).

"Le véritable père Duchesne" (DR).

Quand nous parlons sans-culotte sans le savoir :

Avoir une dent contre quelqu'un.
C'est mon petit doigt qui me l’a dit.

Couper le sifflet à quelqu'un.
Dorer la pilule...

Enfoncer des portes ouvertes.
Entre la poire et le fromage.
Etre au bout du rouleau.
Il n'y a plus à tortiller.

La cinquième roue du carosse.
Le rasoir national.
Manger de la vache enragée.
Manger la laine sur le dos.
Mettre des bâtons dans les roues.

Mettre le grapin sur...
Mettre les pouces.
Prendre la balle au bond.
Reculer pour mieux sauter.

S'amuser à la moutarde.
S'en foutre comme de l'an quarante.
Tirer les vers du nez...


Autant de plaisirs du langage et de l'écriture qui perdurent...


jeudi 26 février 2009

P. 81. Au Nord, il y avait des polars...

Une mode serait aux romans policiers nordiques.
Sans céder à une attraction, ni à une répulsion...
Quelques pages pour respirer ces atmosphères-là.


N'étant point amateur éclairé de ce style de littérature et pas plus connaisseur des écrivains du Nord, je n'ai comme balises sur la banquise des bouquins policiers ourlés de neige qu'Henning Mankell et son commissaire Wallander. Une Suède qui n'a plus rien d'un paradis social. Tellement plus porteuse de nuances grises et étouffantes que de blancheur apaisante et rafraîchissante. Et un honnête homme (non au sens légal mais plutôt philosophique) qui tente de garder un sens gumaniste à son métier de policier dans une société où les déraillements se diversifient et s'aggravent.
Arlandur Indridason, lui, écrit l'Islande et décrit un autre commissaire, Erlendur, tout aussi paumé au présent et angoissé devant l'avenir. Dans ses romans, quand on est du continent et pas vraiment au Nord, le mot "ethnographie" se glisse entre les lignes. Pas au sens pédant ni en alourdissant les intrigues. Juste comme une indispensable toile de fond. Une Islande non de carte postale mais de l'intérieur, y compris avec ses cadavres dans des armoires soigneusement mises à l'écart des regards des touristes.
Puis il y eut l'implosion due à Stieg Larsson et à ses trois volumes de Millenium. L'auteur est mort subitement, la plume encore à la main, comme ayant sa vie vampirisée par ses deux personnages : Mikael Blomkvist et Lisbeth Salander. Ce succès de librairie qui perduren a grandes ouvertes les portes à de nombreuses traductions (en Français notamment) et à des publications d'autres polars du Grand Nord.
Parmi ceux-ci, Ake Edwarson, Suédois lui aussi. Très différent de Mankell, d'Indridason et de Larsson. Très complémentaire aussi.


Premier roman d'Ake Edwarson, Danse avec l'ange, traduit du Suédois par Anna Gibson, Ed. 10/18, Paris, 2008, 429 p.

Quatrième de couverture :

- "Göteborg, deuxième ville de Suède logée entre terre, mer et montagne, dont le seul nom chante la magie du Grand Nord... Ce décor idyllique s'effrite sous la plume d'Ake Edwardson. Par le prisme de l'enquête policière, ici restituée dans ses moindres hésitations, doutes et tracasseries administratives, l'auteur autopsie les affres d'une âme nordique en proie aux pires maux des sociétés contemporaines. Erik Winter est le témoin privilégié de cette déliquescence. Dandy un brin désabusé et sans illusions quant aux chances véritables de la justice, le plus jeune commissaire de la police suédoise va se montrer très rigoureux lorsqu'une série de meurtres barbares endeuille sa ville natale."

Photo : Ake Edwarson (DR).

Pas question, sur ce blog, de décrire l'intrigue (les intrigues) de ce roman à la fois touffu et limpide. Et encore moins de trahir son dénouement.
Mais quelques arrêts au long des 429 pages. Des images. Des odeurs. Des couleurs. Des sons. Bref, des atmosphères glissées entre les dialogues et qui imprègnent tout ce roman, lui offrant des profondeurs originales.

Crépuscule pour le plus jeune commissaire de Suède :

- "Winter entendit un chant d'oiseau. L'asphalte était sec, mais la neige s'attardait, inquiète, sous les pins du parc. Le froid avait décollé au cours de la nuit et pris son envol vers le nord."
(P. 82).

Aube pour un inspecteur :

- "Lars Bergenhem frissonna dans sa cuisine, fit un café, regarda par la fenêtre. Les arbres étaient enveloppés de plusieurs couches de vapeur froide. La fumée montait là-bas, dehors, les couleurs du paysage se condensaient au sortir de la nuit. Comme si elles revenaient d'une cure de sommeil, pensa-t-il, comme si elles avaient repris assez de force pour se glisser à nouveau dans les choses. Un genévrier, jusque-là pâle et transparent, reprit ses couleurs peu après huit heures ; la clôture à peine visible un instant plus tôt émergea de la blancheur, retrouva ses contours. Sa voiture se mit à briller sous sa capuche de neige, touchée par une giclure de soleil."
(P. 158).

Winter à Londres :

- "Dans Earl's Court Road, il respira les odeurs de la ville : essence brûlée, poisson frit, détritus pourrissants, et puis cette odeur de pierre et de poussière de rue qu'on trouve dans les villes très anciennes, cette odeur qui pique le nez. Quand il pleut à Londres, pensa-t-il, elle se mêle à l'eau et devient un ciment qui obstrue les yeux et les narines.
Il sentit aussi la présence du printemps, au milieu du flot des voitures. Le soleil était là, masqué par une brume anglaise. Un début de printemps plus chaud que celui de Göteborg. Il en avait vu les signes en venant de l'aéroport. Une partie du trajet de la ligne Piccadilly Ligne se faisait à ciel ouvert, en passant par Hounslow, Osterley, Ealing et Acton : les érables en pleins préparatifs, les jardins tirés de leur sommeil, les enfants pourchassant à nouveau le ballon sur les étendues d'Osterley Park. Les enfants couraient toute l'année mais jamais comme au début du printemps."
(P. 234).

Photo : Soho Square (Graph. JEA, DR).

Oiseaux londoniens :

- "Ils s'assirent sur un banc ensoleillé au milieu de Soho Square. Winter avait laissé son manteau ouvert. Le printemps précoce caressait son visage : un oiseau anglais lui chanta une composition originale. (...)
L'oiseau dans l'érable avait été rejoint par des collègues, sans doute stimulés par la présence du public sur le banc. Le choeur proposait un pot-pourri de ses classiques printaniers."
(P. 283).

Sonneries scolaires à Göteborg :

- "Le ciel était terriblement bleu. Aucun nuage. En arrivant devant l'école, il entendit une sonnerie acide. Ce bruit-là n'a pas changé, songea-t-il. Les réformes scolaires vont et viennent mais personne ne s'attaque à la sonnerie scolaire. Toutes les heures que j'ai pu passer à attendre la sonnerie. Toutes ces heures en classe où je ne faisais rien d'autre que d'attendre."
(P. 360).

Jazz des petites heures :

- "McCoy Tyner jouait l'intro de I wish I knew. Il était minuit passé. Winter, assis dans le noir, attendait que l'aube traverse la nuit jusqu'à lui. John Coltrane Quartet jouait la musique des petites heures.
Winter se leva, décrivit un cercle dans le séjour. L'écran de l'ordinateur, sur la table derrière lui, se reflétait dans les fenêtres comme un carreau de lumière liquide.
Il avait écrit un nouveau scénario, s'était levé au moment où l'atroce récit approchait de sa fin. Coltrane jouait It's easy to remember. Tu parles, pensa Winter tandis que le court morceau planait librement dans la pièce. 1966. Coltrane l'avait enregistré cette année-là. Winter avait six ans.
Il laissa le disque se finir et mit Charlie Haden et Pat Metheny, la sensation planante intacte. C'était une musique pour les souvenirs - même du genre de ceux qui le faisaient marcher ainsi en cercle."



Charlie Haden et Pat Metheny, The Moon Song.


mardi 24 février 2009

P. 80. "Herbe", un film.

Rien à voir avec une section "stupéfiants" de la police
mais
"un documentaire passionnant qui ne reste pas au ras des pâquerettes" (Le Canard enchaîné).

Présentation sur le site du film :

- "Au cœur de la Bretagne paysanne, deux visions du métier d’éleveur laitier se confrontent. Alors que des Hommes se sont engagés depuis plusieurs années dans une agriculture autonome, durable et performante, le courant majoritaire de la profession reste inscrit dans un modèle de production industriel, fortement dépendant des groupes agricoles et agro-alimentaires…"

Olivier Porte :

- "Herbe sort en salles trois ans après les premiers repérages. On n'imaginait évidemment pas un tel parcours et autant de difficultés, et tant mieux, parce que ça nous aurait probablement découragés."

Un film documentaire de Matthieu Levain et Olivier Porte.
Montage : Matthieu Levain et Alexandre Teboul.
Musique : Emmanuel Levain.
Image : Matthieu Levain.
Son : Olivier Porte.
Durée : 76 mn.

F. P. :

- "Elle ne se fume pas, elle se broute, bien verte, dans les pâturages de Bretagne. Elever des vaches à l'herbe, quelle drôle d'idée en ces temps de croquettes et de tourteaux généralisés ! C'est la parti de quelques éleveurs bretons, sortis du circuit agro-industriel et de son cycle infernal (machinisme - endettement). Les réalisateurs Matthieu Levain et Olicier Porte filment les deux types d'exploitation : celle qui carbure au maïs américain, au soja brésilien et à l'angoisse (pour les bêtes et pour les hommes), et l'autre qui, sur un rythme plus naturel, nourrit confortablement non seulement ses vaches, mais le fermier. Car cette herbe-là est rentable."
(Le Canard enchaîné, 18 février 2009).

Jérémie Couston :

- "Depuis quelques années, les documentaires sur l'écologie ou le monde paysan se multiplient. Signe que la planète tourne de moins en moins rond et/ou que les cinéastes, enfin, s'en inquiètent. A mi-chemin entre l'alarmisme de We feed the world et l'humanisme de Depardon (sa trilogie Profils paysans), voici un documentaire en forme de road-movie sur les éleveurs laitiers bretons, où l'on apprend que, contrairement à l'idée reçue, les vaches ne mangent presque plus d'herbe !

Selon l'absurde modèle productiviste imposé dans les années 1970, au lieu de brouter des pâturages gratuitement, 90 % de nos vaches sont nourries au maïs et au soja brésilien génétiquement modifié, ce qui a pour conséquence de ruiner leurs propriétaires (en engrais, machines, semences, pesticides...), de les rendre dépendants des subventions de Bruxelles, et surtout de polluer nos rivières par l'azote et autres produits chimiques. Partisans de la minoritaire filière herbagère, à la fois plus durable et plus rentable, les auteurs font passer leur message sans manichéisme et sans illusions."
(Télérama, 21 février).


Le Télégramme.com :

- "Herbe met également à jour un paradoxe : c’est cette agriculture industrielle qui apparaît aujourd’hui « traditionnelle » et qui se trouve encouragée. C’est elle qui se voit offrir six à sept fois plus de primes que la filière herbagère. Mais ces exploitants productivistes confessent cependant à la caméra qu’ils peinent à rembourser leur crédit et à se dégager en outre de quoi vivre. Et malgré leur profond désaccord avec cette approche de l’élevage, Levain et Porte ne peuvent dissimuler dans cette séquence l’empathie qu’ils éprouvent à leur égard. Car là réside sans doute le vrai mérite de cet heureux documentaire : dénoncer avec élégance, sans condescendance ni forfanterie."
(18 février).


Ils soutiennent ce film :

Réseau Cohérence - Mouvement pour la Terre et l’Humanisme - Mouvement pour le Droit et le Respect des Générations Futures - Confédération Paysanne - Réseau Agriculture Durable - Comité Français pour la Solidarité Internationale - WWF France - Comité Catholique contre la Faim et pour le Développement - Slow Food France - Ingénieurs Sans Frontières

Ne l'ont visiblement pas apprécié :

Véronique Le Bris de Première, Mohammed Nobbou de Studio Ciné live et Isabelle Regnier du Monde.

Bande annonce du film d'où sont tirées toutes les illustrations de cette page. DR.

samedi 21 février 2009

P. 79. Cinquante-huit photos pour un vingt-et-un février...

Une page nullement su-rannée...

Pardon, mais officiellement, sur la page 79 de ce blog, il faudrait un album avec 58 instantanés pour marquer ce 21 février 2009... Cependant, éternellement fâché avec les nombres et avec les chiffres, je me limiterai sans drame à trois clichés supposés résumer les 55 autres restés dans les chambres traversées d'arcs-en-ciel des souvenirs.

(Chausey, photo JEA, DR).

Une île. A respirer au crépuscule, quand les derniers bateaux sont repartis pour un continent qui se limite à commencer à cligner des phares sur la pointe de l'horizon. Les vagues sont terriblement précises qui choisissent pour dialoguer les plages les moins sages et les rochers les plus butés, les plus tourmentés. Les sables refusent de mesurer le temps. Et les coquillages enregistrent des murmures pour les lendemains trop silencieux.

(Beaumont, photo JEA, DR).

Une ville fréquentable car respirable comme une île. Quand le soleil l'a rendue presque déserte. Que des galets se libèrent en vagues pétrifiées pour dévaler vers les ombres profondes. Pas de bande son sinon quelques feuilles de lierre qui virent au rouge. Il n'y a plus que les amoureux à s'aventurer dans ce labyrinthe. Il ne se termine pas plus par une fin qu'il n'a débuté sur une entrée libre.

(Cigouzag, photo JEA, DR).

Sur une porte d'île au Ponant ou de ville au passé indéchiffrable. Tous les trousseaux de clés de tous les gardiens (du temple, de prison voire de bagne) ne parviendront jamais à faire battre ce coeur. Et si la rouille vient s'y accrocher, ce n'est jamais que celle des multiples tentatives ayant échoué à l'ouvrir. Il y a des passions sans eau bénite et sans frontières qui ne se laissent entr'apercevoir par aucun trou de serrure.

Si les saisons avaient permis l'éclosion d'une fleur sur cette page, c'eût été une sucolchique comme un bonheur dans les présents et les futurs...

vendredi 20 février 2009

P. 78. "Hommage à la Catalogne"

George Orwell, Hommage à la Catalogne, traduction par Yvonne Davet, Ed. 10/18, 2008, 294 p.

Pour débuter par la (presque) conclusion :

- "J'ai raconté quelques événements extérieurs, mais comment communiquer l'impression qu'ils m'ont laissée ! Tout pour moi est étroitement mêlé à des visions, des odeurs, des sons, que les mots sont impuissants à rendre : l'odeur des tranchées, les levers du jour sur des horizons immenses dans les montagnes, le claquement glacé des balles, le rugissement et la lueur des bombes; la pure et froide lumière des matins à Barcelone, et le bruit des bottes dans les cours de quartiers, en décembre, au temps où les gens croyaient encore à la révolution; et les queues aux portes des magasins d'alimentation, et les drapeaux rouge et noir, et les visages des miliciens espagnols; surtout les visages des miliciens - d'hommes que j'ai connus au front et qui sont à présent dispersés et Dieu sait où, les uns tués dans la bataille, d'autres mutilés, certains en prison; la plupart d'entre eux, je l'espère, encore sains et saufs. Bonne chance à eux tous ! J'espère qu'ils gagneront leur guerre et chasseront d'Espagne tous les étrangers, les Allemands, les Russes et les Italiens. Cette guerre, à laquelle j'ai pris une part si inefficace, m'a laissé des souvenirs qui sont pour la plupart de mauvais souvenirs, et cependant je ne puis souhaiter ne pas en avoir été. Quand on a eu un aperçu d'un désastre tel que celui-ci - car, quelle qu'en soit l'issue, cette guerre d'Espagne, de toute manière, se trouvera avoir été un épouvantable désastre, sans même parler du massacre et des souffrances physiques -, il n'en résulte pas forcément de la désillusion et du cynisme. Il est assez curieux que dans son ensemble cette expérience m'ait laissé une foi, pas seulement non diminuée, mais accrue, dans la dignité des êtres humains."
(PP 232-233).

George Orwell, 1903-1950 (DR).

Venu en Espagne en 1936 avec un contingent de l'ILP¨(Independant Labour Party) pour s'engager dans les milices du POUM trotskiste (Partido Obrero de Unificacion Marxista).
Caporal sur le front d'Huesca. Blessé. Obligé de fuir l'Espagne quand le POUM est accusé par les communistes de collusion avec les fascistes. Une autre guerre civile à l'intérieur de la guerre civile espagnole.
Son Hommage... porte donc sur les années 1936 et 1937. L'édition originale de cet Homage to Catalonia, remonte à 1938. La première publication française a attendu 1955 (aux Ed. Gallimard).

Les défenseurs de la République montent pour la première fois au front :

- "On ne peut s'imaginer à quel point nous avions l'air d'une cohue. Nous marchions à la débandade, en gardant beaucoup moins de cohésion encore qu'un troupeau de moutons; avant d'avoir fait deux kilomètres, l'arrière-garde de la colonne fut hors de vue. Et une bonne moitié de ces soi-disant hommes étaient des enfants - j'entends bien littéralement, des enfants de seize ans au plus. Et cependant, ils étaient tous heureux et ne se sentaient pas de joie à la perspective d'être enfin sur le front. Comme nous en approchions, les jeunes garçons qui, en tête, entouraient le drapeau rouge, se mirent à crier : "Visca P.O.U.M. ! - Fascistas-maricones !" etc. Ils s'imaginaient pousser des clameurs guerrières et menaçantes, mais sortant de ces gosiers enfantins, elles produisaient un effet aussi attendrissant que des miaulements de chatons. Il me semblait affreux que les défenseurs de la République, ce fût cette bande d'enfants en guenilles portant des fusils hors d'usage et dont ils ne savaient même pas se servir !"
(P. 31).
Photo prise lors du siège d'Huesca en 1937. Au centre, debout, George Orwell et ses camarades du POUM (DR).

Cette guerre-là :

- "C'était une vie singulière que nous vivions - une singulière façon d'être en guerre, si on peut appeler cela la guerre. Tous les miliciens sans exception lançaient des brocards contre l'inaction et continuellement demandaient à cor et à cri qu'on leur dît pour quelle raison on ne nous permettait pas d'attaquer. Mais il était on ne peut plus clair que longtemps encore il n 'y aurait aucune bataille, à moins que l'ennemi ne commençât. Georges Kopp (1), lors de ses tournées d'inspections périodiques, nous parlait sans ambages : "Ce n'est pas une guerre, disait-il souvent, c'est un opéra-bouffe avec morts."
(P. 48).

- "Tout de cette période est demeuré dans mon souvenir avec une netteté singulière. Je revis par la pensée des incidents qui pouvaient paraître trop insignifiants pour valoir la peine qu'on s'en souvint. Me revoici dans la cagna du Monte Pocero, sur la saillie de calcaire qui me tenait lieu de lit, et le jeune Ramon, son nez aplati entre mes omoplates, ronfle. Je remonte en trébuchant la tranchée fangeuse, à travers le brouillard qui enroule autour de moi ses tourbillons de vapeur froide. J'escalade une crevasse à flanc de montagne et, arrivé à mi-hauteur, tout en tâchant de ne pas perdre l'équilibre, je déploie tous mes efforts pour arracher de terre une racine de romarin sauvage. Cependant que, là-haut, par-dessus ma tête, sifflent quelques balles perdues. Je suis couché par terre, caché au milieu de petits sapins en contrebas et à l'ouest du Monte Oscuro, en compagnie de Kopp, de Bob Edwards et de trois Espagnols. Des fascistes sont en train de gravir à la file, comme des fourmis, la hauteur grise, dénudée, qui se trouve sur notre droite. De tout près en face de nous, venant des lignes fascistes, une sonnerie de clairon retentit. Kopp capte mon regard et, d'un geste d'écolier, fait un pied de nez au son. Je suis dans la cour souillée de La Granja, parmi la foule des hommes qui se bousculent, leur gamelle d'étain à la main, autour du chaudron de ragoût. (...) Un obus arrive avec un sifflement déchirant. Des enfants de quinze ans se jettent visage contre terre. Le cuistot disparaît derrière le chaudron. Chacun se relève l'air penaud, tandis que l'obus plonge et éclate cent mètres plus loin. Je fais les cent pas le long du cordon de sentinelles dissimulées sous les rameaux sombres des peupliers. (...) Alors que commencent à poindre derrière nous les premières lueurs jaunes d'or de l'aurore, la sentinelle andalouse, emmitouflée dans sa capote, se met à chanter. Et on peut entendre par-delà le no man's land, à cent ou deux cents mètres de nous, la sentinelle fasciste chanter aussi."
(PP 112-113).

Photo Capa (de même que la couverture en 10/18). DR.

Une heure dangereuse :

- "Ce fut à l'angle du parapet, à cinq heures du matin. C'était là une heure dangereuse parce que nous avions le lever du jour dans le dos, et si notre tête venait à dépasser du parapet, elle se profilait très nettement sur le ciel. J'étais en train de parler aux sentinelles en vue de la relève de la garde. Soudain, au beau milieu d'une phrase, je sentis... c'est très difficile à décrire ce que je sentis, bien que j'en conserve un souvenir très vif et très net.
Généralement parlant, j'eus l'impression d'être au centre d'une explosion. Il me sembla y avoir tout autour de moi un grand claquement et un éclair aveuglant, et je ressentis une secousse terrible - pas une douleur, seulement une violente commotion, comme celle que l'on reçoit d'une borne électrique, et en même temps la sensation d'une faiblesse extrême, le sentiment de m'être ratatiné sous le coup, d'avoir été réduit à rien. Les sacs de terre en face de moi s'enfuirent à l'infini.(...) L'instant d'après mes genoux fléchirent et me voilà tombant et donnant violemment de la tête contre le sol, mais, à mon soulagement, sans que cela me fît mal. Je me sentais engourdi, hébété, mais je ne ressentais aucune douleur, au sens courant du mot."
(PP174-175. Une balle lui a traversé le cou).

A l'hôpital de Sietamo :

- "Ne tardèrent pas à apparaître à mon chevet deux camarades qui avaient obtenu la permission de quitter le front quelques heures.
"Salut ! Tu es encore de ce monde, hein ? A la bonne heure ! Nous voulons ta montre et ton revolver et ta lampe électrique. Et ton couteau, si tu en as un."
Et ils s'éclipsèrent en emportant tout ce que je possédais de transportable. C'était l'habitude chaque fois qu'un homme était blessé : tout ce qu'il avait était aussitôt réparti; à juste raison, car, au front, des choses telles que montres, revolvers, etc., étaient précieuses, et si elles s'en allaient avec le fourbi d'un blessé, on pouvait être sûr qu'elles seraient volées quelque part en cours de route."
(P. 178).

Démobilisé pour blessure de guerre, George Orwell quitte les hôpitaux militaires pour retrouver Barcelone où se donne la chasse aux membres du POUM, y compris ceux qui arrivent en permission du front !
Les communistes veulent liquider les trotskistes (de même que les anars) et les accusent d'être les complices des fascistes. Orwell et son épouse doivent fuir vers la France. Comme le feront des milliers de réfugiés tentant plus tard d'échapper aux fascistes victorieux.

Photo DR.

Note :

(1) Georges Kopp, ingénieur. Orwell le présente comme belge et même officier de réserve de l'armée belge. En réalité, d'origine soviétique, il n'avait immigré dans le Royaume que dans son enfance. Kopp avait fait réussi ses études à l'Université Libre de Bruxelles sans pour autant devenir un citoyen du Royaume. Marié avec une belge, il eut cinq enfants avant de divorcer. Selon Orwell, il avait fabriqué illégalement, fort de ses connaissances, des munitions pour le Gouvernement espagnol avant de partir comme volontaire en Espagne en octobre 1936. De simple milicien, il était devenu chef de bataillon du POUM. Disparu dans les prisons après son arrestation par des policiers gouvernementaux (et communistes), il était supposé fusillé lorsque cet Hommage... fut rédigé. Heureusement libéré quand les dirigeants du POUM furent acquittés des poursuites pour espionnage, Kopp entra à la Légion étrangère pour combattre les fascistes. Puis sous l'occupation, travailla pour les services britanniques. Un destin hors du commun évoqué par Paul Hermant lors de ses Chroniques sur Matin Première (RTBF-Radio).

mardi 17 février 2009

P. 77. Toponymie : fermes ardennaises

Longère ardennaise (Photo JEA - DR).

Ferme aux Corbeaux,

Ferme d’Alma, d’Artois, d’Ecogne, d’Harauchamp, d’Heurtebise, d’Hurfosse,

Ferme de Baybel, de Beauregard, de Bégnival, de Bellevue, de Bronvaux, de Champel, de Corny la Cour, de Forest, de Gand, de la Garenne, de Jupille, de Maucourt, de Moscou, de Quérimont, de la Brière, de la Croix Bouzin, de la Grande Pièce, de la Muette, de la Queue Cheveuges, de la Roche Martin, de la Tour du Vent, de l’Espérance, de Prêle, de Soiry, de Verbois, de Ville, de Waroux,

Ferme des Etangs, des Loges, des Loups, des Marquets, des Wattines,

Ferme du Bois d’Auvillers, du bois de l’Abbaye, du Bois de la Ferée, du Bois des Nuées, du Bois Royal, du Fay, du Fourneau, du Pissois, du Pont Gaudron, du Ridoux, du Rossignol, du Seigneur, du Véru,

Ferme l’Arquebuserie,


Mur d'une ferme victime de 14-18 (Photo JEA - DR).

Ferme la Baronnerie, la Basse Touligny, la Baurée, la Bergeoterie, la Bouverie, la Briqueterie,
la Camoterie, la Carrière, la Cense la Rivière, la Chambre aux Loups, la Chatterie, la Codanterie, la Crête,
la Faisanderie, la Folie, la Fontaine Trouée, la Forge, la Fosse au Mortier,
la Gravelle, la Grévinière,
la Haute Praelle, la Hobette,
la Loire, la Louvette,
la Musarde, la Morteau,
la Pardonne, la Polka,
la Remontée, la Rosière,
la Saboterie, la Sartelle, la Seugne,
la Thibaudine, la Tuilerie,
la Vieille Cense Godel, la Vignette, la Virée,

Ferme le Bessu, le Blanc Triot, le Frémont, le Grand Carré, le Gros Chenois, le Maipas, le Manil, le Merlan, le Mont d’Haye, le Moulin de Vence, le Moulinot, le Petit Godel, le Petit Ney, le Pont de Pierre, le Ruisselois, le Terme,

Ferme les Aunettes, les Béguines, les Cendrières, les Courgillots, les Courtiseaux, les Epiceries, les Fontenelles, les Forgettes, les Margots, les Mussots, les Ormes, les Quatre Vents, les Tuileries,


Cloche et torchis (Photo JEA - DR).

Ferme Bas Val la Caure, Bazancourt, Beauséjour, Bel-Air, Belle Fontaine, Bobo, Boulain,
Chaillot, Chamblage, Chamiot, Champel, Chaumontagne, Chenot, Chèvre, Cogneux, Cohault, Cornicelle, Coulan, Courte Soupe, Couversy,
Dyonne,
Ecle, Ennemane,
Félix Pré, Folie Macé, Fontaine Olive, Franclieu,
Gironval, Givodeau, Grimansart,
Harbeaumont, Haute Cléfay, Haymoy,
Lansquinet, Lansquinne,
Magenta, Maison Rouge, Malgrétout, Malmaison, Malval, Massembre, Maugré, Mautaubois, Mélimé, Mongarni, Mon Idée, Montplaisir, Mousseau,
Normandie,
Petit Forêt, Pichegru, Pierrepont, Pommery, Pontorval, Prouilly Vieille,
Richecourt, Roger Fontaine,
Saint-Brice, Sainte-Philomène, Sénéval,
Thièves, Thorin,
Valcontent, Vaux Gravier, Vaux-les-Moines, Vigneron,
Warmonterme.

samedi 14 février 2009

P. 76. Ardennes aux blancs cheveux

Photo : "Route du milieu" (JEA / DR).

Là, les sangliers sont nettement moins fanfarons.
Encore heureux pour eux que les chasseurs se désespèrent à la pensée sinistre du rouge qui pourrait geler dans leurs gros bidons. De plus et de loin, ces bandes de spadass(ass)ins sont annoncées-dénoncées par des nuages de sueurs et d'haleines en suspens.

Les oiseaux se heurtent douloureusement au ciel pris par les glaces.
Poussées sans doute par la faim, quelques corneilles s'aventurent par ici. Leurs plumes perdant généreusement de l'encre de chine. Mais des buses que rien n'abuse, ont vite fait bien fait de les renvoyer sur l'autre versant de la frontière et à leurs chères lectures classiques.

La neige va, la neige revient.
Elle a pris ses quartiers d'hiver dans les rièzes et les sarts. Poudre sur les perruques des paysages ou vrais cheveux qui trahissent la vieillesse ?
Les horloges sont aphones. Et les rivières ne jouent plus aux osselets avec les galets.
La neige s'épanouit, la neige s'évanouit.

Plus les horizons sont-ils moribonds et plus des brouillards entêtés se complaisent-ils à les rendre flous. Quelques arbres surnagent. Ils ne lisent plus le journal local depuis longtemps, lui qui met l'actualité en bocal.

Quand les vents sont bleutés, les distances partent en fumées. Les silences perdent leurs écorces. Un nuage passe en chaise roulante. En vérité, qui aime les Ardennes, ne se lasse pas de relire leurs faits d'hiver...


Photo : nichoir à l'ancienne (JEA / DR).

mardi 10 février 2009

P. 75. Maxime Steinberg, expert au procès de Kiel

Plus que le "Mensch de l'Année 2008"
honoré prochainement par le CCLJ (voir page 74)
Maxime Steinberg
est l'historien de la persécution des Juifs en Belgique

C'est le procès de Kiel qui l'a révélé...


1961.

Porté aussi par la volonté de son père cordonnier, Maxime va monter jusqu’à l’Université Libre de Bruxelles et y recevoir en 1961 une Licence en Histoire pour son étude sur le POB, le Parti Ouvrier Belge.
Aux lecteurs qui s’en étonneraient, confirmation est donnée. Maxime Steinberg s’est refusé pour ses débuts d’historien, à se tourner vers les années d’occupation et vers le génocide des juifs en particulier. Il s’est attaché aux luttes des classes d’avant Guerre et aux courants politiques portant des idéaux sociaux en Belgique.
Maxime Steinberg : « A l’époque, aucun historien n’avait encore entamé un examen des archives et le recueil des témoignages sur la Shoah en Belgique. Mais je rappelle qu’en France, il a fallu attendre des Américains ou des Canadiens pour qu’une démarche comparable soit entamée non seulement pour la persécution des Juifs mais encore pour le régime de Vichy. Je pense par exemple à Robert Paxton et à Michael Marus (1). C’est un fait : aussi bien en Belgique qu’en France, les historiens des années 60 sont restés aveugles, sourds et muets. Les retards se sont accumulés…
Personnellement, à cause de mon enfance, j’étais alors complètement bloqué pour tout ce qui concerne la Shoah. A tel point qu’à la publication de la première édition du « IIIe Reich » de William R. Shirer
(2), je n’ai même pas pu ouvrir cet ouvrage fondamental ! »



Photo de Kurt Asche , Het Nieuws Blad, 9 juillet 1981 (DR).

1980-1981. Kiel.

A raison de deux séances par semaine, du 26 novembre 1980 au 8 juillet 1981 se déroule un procès exceptionnel à Kiel, devant la Cour d’assises du Land du Schleswig-Holstein. L’accusé, Kurt Asche, ancien lieutenant SS, est poursuivi (à l’ouverture) pour complicité dans la mise à mort de 10.000 Juifs déportés de Belgique vers Auschwitz-Birkenau.
Ce procès marque un tournant définitif dans l’itinéraire professionnel de Maxime Steinberg. En effet, peu avant ce procès sortant enfin d’une véritable occultation les arrestations et les déportations des Juifs en Belgique, les Anciens résistants juifs, un Comité d’hommage des Juifs de Belgique à leurs héros et sauveteurs ainsi que le Comité belge de soutien à la partie civile à Kiel avaient voulu confier à un historien des publications totalement manquantes jusque-là. Ce sera Maxime Steinberg. Il signe alors :
- Extermination, sauvetage et résistance des juifs de Belgique (2) ;
- Le Dossier Bruxelles-Auschwitz : la police SS et l’extermination des Juifs de Belgique suivi de Documents judiciaires de l’affaire Ehlers (3).
Sa méthodologie et son éthique marquent aussitôt ces deux premières brochures :
- établir et veiller à une grande distance critique tout au long de ses travaux (encore plus indispensable eu égard à son expérience douloureuse d’enfant caché et d’orphelin de la Shoah) ;
- donc ne jamais céder à la subjectivité ;
- ne pas seulement mettre en forme la mémoire des acteurs et des témoins ;
- mais « suivre les démarches des individus, le plus souvent des humbles, qui incarnent les comportements collectifs » (4) ;
- savoir « élaborer une interprétation globale » (5) dès lors qu’elle repose sur une accumulation d’archives et de témoignages…
Conséquence logique de la publication des travaux qu’il mène, l’historien va être appelé comme « expert » par la partie civile à ce procès de Kiel. Il sera activement présent du premier au dernier jour.
Maxime Steinberg : « Pour aller à Kiel, j’ai été obligé de vaincre mes blocages. Déjà entrer en territoire allemand. Entendre la langue à longueur de journée. Ne pouvoir m’empêcher, en voyant un homme aux temps grises, me demander où il était et ce qu’il avait fait pendant la guerre…
Par contre, je dois ajouter que j’ai été heureusement surpris du travail mené à Kiel dans une volonté nettement antifasciste. Ainsi j’ai été invité dans une école où incontestablement, les jeunes étaient et sensibilisés et motivés.
Quant au procès, il reposait sur un dossier basé sur les comparutions en Justice de Canaris
(6) et de Von Falkenhausen (7). La persécution des Juifs y était hypothéquée par la décision de l'Auditeur militaire de ne pas inculper les accusés de complicité d'assassinat. De même, la Justice belge avait fait jusque-là l’impasse sur le génocide. L'inculpation se limita à celle d'arrestations arbitraires. Le parquet de Kiel répara, trente ans après, les errements de la justice belge. Elle jugea Asche pour complicité d'assassinat. Mais seulement pour 10.000 Juifs déportés de Belgique pendant son mandat, alors qu’ils furent plus de 20.000.
Heureusement, la procédure allemande permet lors d’un procès d’apporter de nouvelles pièces devant le tribunal. C’est ce qui a fait basculer Kiel : les preuves que j’ai apportées des mensonges et implications directes de l’accusé. »

Procès de Kiel. Kurt Asche (à g. arrière plan) prend connaissance de preuves accablantes apportées devant la Tribunal par Maxime Steinberg (à dr.). Photo : Arch. M. Steinberg. DR.

Un procès pour et devant l’histoire.

Ernst Ehlers devait comparaître à Kiel. Lieutenant-colonel SS, il dirigea le SD (8) pour la Belgique et le Nord de la France. A ce titre, il porta la responsabilité indiscutable des déportations. Devenu… juge après guerre, il ne supporta l’idée de comparaître cette fois au banc des accusés et se suicida peu avant le procès.
Quant à Kurt Asche, ce n’était certes pas un haut gradé SS, ni un nom particulièrement célèbre du fanatisme antisémite. Qu’importe. La Presse allemande évoquait néanmoins « le dernier grand procès de criminel nazi ». Elle se trompait, du moins de perspective. Car, au contraire, pour la première fois, la Justice avait à connaître « la solution finale à la question juive » telle qu’elle fut appliquée dans le Royaume, entraînant la disparition dans les pires conditions de plus de 25.000 Juifs de Belgique.
Déclaration devant le Tribunal de Maxime Steinberg : « Dans le passé, l’esprit de vengeance a pu inspirer les victimes juives du nazisme. Ce sentiment était légitime, mais trente-six ans après cette tragédie, il ne détermine pas la démarche de la partie civile devant la justice allemande.
Même les rares déportés, rescapés d’Auschwitz, savent aujourd’hui qu’aucune peine, si grave soit-elle, ne saurait venger ni leurs souffrances, ni le martyre des victimes anéanties.
La haine non plus n’anime pas la partie civile !
(…)
Cet homme était la terreur des Juifs à Bruxelles, comme l’ont rapporté des témoins. Son nom reste attaché à jamais à la solution finale de la question juive en Belgique occupée. Il provoque toujours de la répulsion.
(…)
Comme les autres parties civiles, qui ont tant souffert dans leur chair, je ne pourrai jamais effacer le mal indicible que les SS chargés de la solution finale ont commis.
L’accusé était de ceux-là. Son procès en est exemplaire, car à Bruxelles, il était leur spécialiste le plus avisé, l’homme compétent dans les affaires juives, le responsable de ce secteur dans le service de la police politique nazie.
Il était chargé de déporter tous les juifs de ce pays et savait que la plupart d’entre eux seraient anéantis à leur arrivée à Auschwitz.
Nous, les parties civiles, fidèles à la mémoire de nos parents assassinés, nous avons voulu qu’il ne reste pas impuni.
(…)
Nous avons voulu un procès équitable où l’accusé aurait toute latitude de se défendre, mais où la vérité serait enfin établie dans ses droits.
Par nos recherches, nous avons contribué à sa découverte. Nous avons apporté au tribunal de nombreuses pièces nouvelles. En particulier, avec les procès-verbaux des entretiens de l’accusé avec les délégués juifs
(9) pendant la guerre, nous avons fourni, comme le demandait le président du tribunal, des preuves matérielles, formelles et directes de son activité concrète et réelle dans la déportation raciale.
Nous attendions, en effet, de ce procès qu’il fasse toute la lumière sur cette période tragique et qu’il apporte toute la vérité sur le drame des Juifs.
(…)
Monsieur le Président, vous avez déclaré que c’était un des chapitres les plus durs de l’histoire allemande. Nous, les parties civiles, nous avons apprécié cette déclaration d’une grande dignité.
Nous considérons, pour notre part, que la justice allemande donne une leçon de civisme démocratique en jugeant les crimes du IIIe Reich contre les Juifs de Belgique.
(…)
Cependant, Mesdames et Messieurs, nous devons constater que l’accusé n’a pas aidé le tribunal dans une telle entreprise.
( …)
Jamais, pendant ces sept mois, il n’a saisi l’occasion d’exprimer le moindre remords. Sans même avouer le rôle qui fut le sien, il pouvait tout au moins regretter les crimes que le service nazi dont il était un agent a commis contre tant d’être humains, hommes et femmes, enfants et vieillards.
(…)
Il vous reste, Mesdames et Messieurs, une tâche délicate, mais vous ne pouvez ignorer la portée du verdict que vous rendrez. Sur votre jugement plane le fantôme de 24.000 cadavres, la plupart gazés et tous brûlés, dans les fours crématoires des camps nazis. Vous ne permettrez pas qu’il soit déclaré, devant l’histoire, que le chargé des affaires juives de la police politique nazie en Belgique n’ait pas été complice de leur assassinat. »
(10).

Le Soir, 10 juillet 1981.

8 juillet 1981.

Verdict du Tribunal : 7 ans de prison sans arrestation immédiate, alors que le Procureur avait plaidé pour 12 ans et la défense une peine légère à défaut d’acquittement.
7 années terriblement dérisoires face à la complicité reconnue dans la mise à mort de 10.000 Juifs de Belgique. Mais pour la première fois dans les annales judiciaires, un jugement dont le verdict reconnait et décrit et condamne le judéocide en Belgique.
A Kiel, un historien belge venait d’y faire ses preuves, d’y révéler une stature unique. Maxime Steinberg allait devenir synonyme d’étude sans faille de la Shoah dans le Royaume occupé. Après 1981, il deviendra LA référence en cette douloureuse matière à force de recherches toujours plus étendues, de publications attendues et aussitôt incontournables. (11)
Maxime Steinberg : « A noter que datent de 1983-1985, les 2 tomes de Serge Klarsfeld, Vichy-Auschwitz, le rôle de Vichy dans la Solution finale de la Question juive en France 1942, Editions Fayard, Paris. C'est-à-dire que nous travaillons alors simultanément, mais d'un autre point de vue. Klarsfeld publie les documents qu'il commente dans un aperçu historique tandis que je m'appuie sur des documents dans un exposé historique. »

Notes :

(1) Cf R. Paxton, La France de Vichy, 1940-1944, Seuil, Paris, 1972 ainsi que M. Marrus et R. Paxton, Vichy et les Juifs, Paris, Calmann-Lévy, Paris,1981.
(2) Ed. Comité d’hommage des juifs de Belgique à leurs héros et sauveteurs, Bruxelles, 1979.
(3) Ed. Comité d’hommage des juifs de Belgique à leurs héros et sauveteurs, Bruxelles, 1979.
(4) In Maxime Steinberg, La traque des Juifs, 1942-1944, Vol. 1, Ed. Vie Ouvrière, Bruxelles, 1986. P. 13.
(5) Id. P. 15.
(6) Amiral Canaris. 1887-1945. Responsable de l’Abwehr, service de renseignement militaire allemand.
(7) Alexander von Falkenhausen. 1878-1966. De 1940 à 1944, Gouverneur militaire de la Belgique et du Nord de la France.
(8) Sicherheitsdienst. Service de sécurité et de renseignement SS.
(9) Délégués de l’Association des Juifs de Belgique, créée par ordonnance allemande le 25 novembre 1941.
(10) In Serge Klarsfeld et Maxime Steinberg, Mémorial de la déportation des Juifs de Belgique, Ed. Union des déportés juifs en Belgique, Fils et Filles de la déportation, The Beate Klarsfeld Foundation, Bruxelles, 1982, PP 621 à 623.
(11) A commencer par les 4 ouvrages composant de L’étoile et le fusil.

dimanche 8 février 2009

P. 74. Pour saluer Maxime Steinberg

Historien de la persécution des Juifs en Belgique
Maxime Steinberg
vient d'être reconnu
"Mensch de l'Année 2008"
par le CCLJ.

Président d'honneur du Centre Communautaire Laïc Juif, David Susskind :
- "Une fois par an, le CCLJ et ses amis choisissent une personnalité exceptionnelle pour l’honorer du titre de « Mensch de l’Année ». Le Mensch de l’année, ce n’est pas seulement être un homme ou une femme de l’année, c’est tout cela à la fois : sensible, affectueux, combattant pour tout ce qui nous est cher."

Ce titre sera remis à Henri Kichka (1) ainsi qu'à Maxime Steinberg lors d'une cérémonie académique prévue le 8 mars à 17h30 au CCLJ (2).

Premier réflexe en apprenant cette reconnaissance : il serait tellement réducteur de ne voir en Maxime Steinberg "que" l'homme d'une seule année. Réflexe aussitôt suivi d'un soulagement, d'un plaisir exceptionnel. En ces temps de révisionnismes répétitifs, d'intolérances aigües, de manipulations anachroniques, de confusions entre travail et devoir, entre histoire et mémoire, entre crimes de guerre et génocides, en nos temps troubles et troublants, enfin un espace où l'humanisme retrouve ses lumières.
Maxime Steinberg a d'abord porté seul l'étude de la Shoah en Belgique. Un "travail de titan", loin des soutiens académiques. Le dépouillement et l'étude de milliers de dossiers individuels de juifs poursuivis par les Nazis. Les preuves sans cesse élargies, consolidées d'une politique visant à "la solution finale".
Historien à la déontologie la plus pure, caractère exigeant et scrupuleux, chercheur jamais satisfait, Maxime Steinberg a rédigé les ouvrages de référence sur le pourquoi, le comment et les conséquences de la Shoah telle qu'elle fut développée en Belgique par les occupants, leurs collaborateurs mais aussi avec la complicité d'autorités que l'antisémitisme forcené ne sembla guère troubler.

Pour saluer ce travail de presque toute une vie professionnelle, nous lui avons posé des questions que nous n'aurions jamais osé prononcer voici quelques années encore. Certes Maxime Steinberg est incroyablement ouvert à toutes celles et ceux qui entament des recherches sur la Shoah. Jamais il n'a joué au "mandarin" intouchable et distillant des sentences incontournables. Toujours il s'est montré attentif, patient, pédagogue, conseiller précieux. Mais dans le cadre d'un travail critique. Sans que jamais ne soit le moins du monde entamée l'indispensable distance entre son histoire personnelle et celle de la Shoah en Belgique.
Or, pour ce blog, Maxime Steinberg a accepté de quitter brièvement l'habit de l'historien respecté et de référence pour redevenir quelques instants le petit Maxime, enfant caché, rescapé de la Shoah. Nous allons tenter de retranscrire cette démarche dont nous portons la responsabilité.

1930.
A Lille, se marient Mendel Majer (Max) Sztejnberg et Ruchla Helman.
Lui a quitté très jeune sa famille et la Pologne natale pour une pérégrination qui, par les ports de la Baltique, l’a conduit jusqu’en Belgique en 1920. Ayant appris en chemin le métier de cordonnier, il a tout juste 20 ans et travaille dans des ateliers de chaussure à Bruxelles avant d’ouvrir son échoppe artisanale.
Elle avait vu le jour dans la même localité polonaise que Max : Kaluszyn. S’y étaient-ils déjà connus ? De la même génération, ils se découvrirent ou se retrouvèrent à Bruxelles. Ils décidèrent de partager le même amour.
Si ce mariage se déroule à Lille, c’est suite à l’expulsion de Ruchla ne possédant qu’un passeport valable le temps de l’Exposition universelle de 1930 à Anvers et à Liège. Le couple peut ensuite retrouver la capitale belge sans craindre de voir la Police des Etrangers les séparer.
Maxime Steinberg : « Leur mariage est typique des histoires d’immigrés de l’époque. Originaires du même village, de la même ville, ils se retrouvent à Bruxelles dans un même quartier situé près d’une gare et ouvert aux étrangers débarquant dans le Royaume… »

Le couple Sztejnberg va donner vie à deux garçons : Kolka, en 1933 et Maxime, en 1936.

La famille Sztejnberg à la Mer du Nord lors de l'été 1937. De G. à Dr. : Mendel Majer, Kolka fils aîné, Ruchla Helman avec dans ses bras le bébé Maxime (Arch. M. Steinberg. DR).

Enfants de Républicains espagnols – enfants de victimes de la Shoah.
La résistance des Républicains espagnols face aux phalanges provoque des ondes de choc jusqu’à Bruxelles. Max Sztejnberg récolte des fonds de soutien dans la communauté des cordonniers juifs pour leurs confrères espagnols. Dans la capitale, c’est un anarchiste, Markus Boldu, qui reçoit ces dons et veille à l’accueil et à l’hébergement de petits enfants de Républicains mis à l’abri des hordes franquistes.
Quand la Belgique est envahie par les Nazis et que ceux-ci mettent en place ce qui se révèlera être « la solution finale », Markus Boldu proposera aux Sztejnberg la contrepartie de leur solidarité avec les Espagnols du Front Populaire. Kolka et Maxime seront cachés par Fernand Pironon et Marie Leontine Le Goof qui ont déjà fait leurs preuves avec des gosses ayant franchi les Pyrénées et hébergent encore une petite Theresa.
Fernand et Marie habitent dans le Brabant wallon, à Annonsart-Ohain. Les deux frères Sztejnberg ne sont séparés – et à titre de précaution – que pendant les heures scolaires. Kolka est inscrit dans une école catholique tandis que Maxime fréquente l’école communale.
Ouvrier dans une usine d’armement, Fernand Pironon a été reconnu après guerre résistant armé de l’AS (Armée secrète).
Maxime Steinberg : « A l’époque, à la campagne, les lits reposaient sur un coffre. Le mien contenait des fusils… J’ajoute que Fernand a également eu droit au titre de résistant civil. Dans ce cas, il fallait obligatoirement avoir sauvé au moins deux juifs !!! Voilà qui dénote aussi les mentalités après la libération. Avoir arraché un seul juif aux persécutions ne suffisait pas… »


1942.
Leurs deux garçons réellement « mis au vert », Max et Ruchla, comme de nombreux juifs de Bruxelles, ont cherché à s’abriter à Boitsfort. Ils sont hélas arrêtés et mis à la Caserne Dossin de Malines le 17 septembre.
Tous deux sont emportés vers Auschwitz-Birkenau par le convoi XI du 26 septembre avec 1740 autres déportés dont 467 enfants de moins de 15 ans.
Maxime Steinberg : « A Boitsfort, se sont distingués d’efficaces activistes rexistes. Je sais par exemple, qu’une pension de famille s’y était sinistrement spécialisée. Quand elle avait un nombre suffisant de juifs, elle les dénonçait pour récupérer au passage leurs biens et bagages… Pour mes parents, ce n’est pas établi formellement, faute de documents probants, mais tout laisse supposer qu’eux aussi furent dénoncés.

Pour le convoi XI, il faut savoir 94% des femmes et fillettes de ce convoi disparaissent dès son arrivée le 28 septembre à Auschwitz-Birkenau. Ce qui revient à comprendre qu’elles ont été gazées aussitôt.»

Page 255 du Mémorial de la déportation des Juifs de Belgique, Serge Klarsfeld et Maxime Steinberg, Ed. Union des des déportés Juifs de Belgique - Fils et Filles de la Déportation - The Beate Klarslfeld Foundation, 1982, 642 p.
Ruchla Helman portait le n° 1072 du convoi XI.

1945.
Séparé de son épouse depuis que leur train les a débarqués en rase campagne entre Auschwitz et Birkenau, Max porte désormais le matricule 66.164. Il est détaché dans un kommando de travail, celui de la mine de charbon de Jawisowitz (3) qui compta de nombreux juifs provenant de Belgique (sans être Belges pour autant).
A l’approche des troupes soviétiques, début 1945, les SS entraînent les détenus dans les marches de la mort. Max va tenir tout au log de cette interminable épreuve qui va le conduire d’abord à Gross Rosen, puis à Buchenwald où il recevra le matricule 117.324.
Cherchant toujours à faire disparaître les traces des camps et de leurs victimes, les SS veulent ne laisser derrière eux qu’un long cortège de cadavres. De Buchenwald, Max est transféré dans les pires conditions à Theresienstadt. Les Américains l’en délivreront.
Maxime Steinberg : «Mon père est rentré le 11 juin 1945. C’était un squelette vivant gonflé d’eau. Atteint du typhus, il ne pesait plus que 46 kg. Il avait perdu son épouse et n’avait aucun endroit où loger en Belgique.
Pendant trois mois, il a été pris en charge à Annonsart-Ohain par ceux-là même qui nous avaient sauvés en nous cachant sous l’occupation.
Mon père a vécu cette souffrance extrême de savoir qu’il ne verrait plus jamais ma mère.
Quant à moi, je n’avais que 5 ans quand, en 1942, j’en ai été séparé pour toujours.
Je n’ai pas gardé, du moins consciemment, de souvenir de ma mère. Quand je regarde l’une de ses photos, j’essaie encore qu’elle me dise quelque chose. En vain. Je dois faire un blocage.
De mon père, qui reprend son commerce, je garde encore les images d’un homme qui va travailler sans cesse, du matin au soir, des clous en bouche, avec son pied de cordonnier. Il a décidé que ses deux fils feraient l’université. Sa volonté était de permettre notre ascension sociale par le biais des études. On imagine les sacrifices de cet homme, de ce veuf portant à bout de bras ses deux garçons.»
(4)

Cérémonie à la Caserne Dossin à Malines, le Sammellager de Belgique. Désigné par une flèche jaune, à droite de la plaque commémorant les déportations de juifs, Max Sztejnberg, rescapé d'Auschwitz et de Bunchenwald (Arch. M. Steinberg, DR).

NOTES :

(1) La Revue Regards publie, sous la plume de Roland Baumann, un portrait de ces deux élus du CCLJ. Pour une lecture, cliquer : ICI.

(2) CCLJ : 52 rue de l'Hôtel des Monnaies à 1060 Bruxelles. La cérémonie académique aura pour cadre l'Espace Yitzhak Rabin.

(3) Avec Danielle Delmaire, professeur émérite, auteur des travaux sur les camps pour juifs du nord de la France, Maxime Steinberg est membre d'honneur de l'Association pour la Mémoire du Judenlager des Mazures. Tous deux ont continuellement soutenu et éclairé les recherches sur ce camp oublié pendant plus de 50 ans. Sur les 288 juifs anversois déportés le 18 juillet 1942 dans les Ardennes françaises, 35 seront affectés à la mine de Jawisowitz après leur transfert sur Auschwitz-Birkenau.

(4) Une autre page du blog présentera le Maxime Steinberg historien. Notamment expert lors du procès de Kiel en 1980-1981, docteur enseignant à l'Institut d'Etudes du Judaïsme mais surtout auteur d'une somme unique sur la Shoah en Belgique.

mercredi 4 février 2009

P. 73. L'honneur d'Angela Merkel n'est pas entre guillemets tel celui de Jack Lang


Angela Merkel reste fidèle à ses engagements contre le révisionnisme,
confirmés notamment lors de sa découverte du Mémorial Yad Vashem à Jérusalem.

Lors d'une conférence de presse tenue à Berlin ce 3 février, Angela Merkel, fille d'un pasteur protestant, a souligné qu'elle évitait de s'ingérer dans les affaires intérieures des Eglises. Cette précaution oratoire posée, la Chancelière a rompu le silence général des autres dirigeants européens :
- "Mais c'est différent si nous parlons de questions fondamentales. Et je pense que c'est une question fondamentale si, à la suite d'une décision du Vatican, on peut avoir l'impression que la négation de l'Holocauste est possible... La clarification apportée depuis par le Pape est encore insuffisante."

Angela Merkel marque ainsi son refus officel de voir enterrer le plus vite et le plus discrètement possible l'affaire Williamson. Contrairement à la volonté d'un
Benoît XVI qui se considère infaillible en cette matière aussi. C'est son droit le plus strict. Mais la terre entière - qui est ronde - n'est pas obligée d'en perdre son libre examen.

Pour rappel, cet évêque Williamson tenait, fin janvier, la vedette de l'émission Uppdrag gransning (Mission investigation) de la chaîne télévisée suédoise SVT. Ce fut l'occasion d'un défoulement révisionniste de la plus belle eau bénite :

- "Je crois qu’il n’y a pas eu de chambres à gaz..."
- "Je pense que 200.000 à 300.000 Juifs ont péri dans les camps de concentration, mais pas un seul dans les chambres à gaz..."
- "Il y a certainement eu une grande exploitation. L’Allemagne a payé des milliards et des milliards de deutschemarks et à présent d’euros parce que les Allemands souffrent d’un complexe de culpabilité pour avoir gazé six millions de Juifs, mais je ne crois pas que six millions de Juifs aient été gazés."
- "Attention {ce que je dis}, c’est contre la loi allemande, si quelqu’un se trouvait ici, on me jetterait en prison avant que je ne quitte le pays, j’espère que ce n’est pas votre intention."


"La prochaine fois que vous tiendrez des propos révisionnistes, faites-le en latin, imbécile. Personne ne comprend". Caricature de Kroll. Le Soir. 3 février 2009.

Quand ces redites négationnistes furent enregistrées, le Monseigneur était encore et toujours en marge de l'Eglise catholique.
Parfaitement intégriste intégré dans la "Fraternité sacerdotale Saint-Pie X", ce Williamson-là fut ordonné évêque en 1988, par un Marcel Lefèvre dissident. Il s'en retrouva automatiquement excommunié.
Mais voilà, Benoît XVI vient de remplir son encensoir avec les fumées parfumées du pardon et de l'oubli. Le Pape réintégre les intégristes au sein de l'Eglise catholique. Le négationniste Williamson reçoit ainsi sa place au Vatican, à l'extrême droite du Saint Siège.


Robert Badinter :

- "Il faut mesurer ce que cela signifie pour des juifs de ma génération.
Si négationnisme il y a, alors où sont passés les nôtres ? Mon père, ma grand-mère mes oncles, mes cousins, où sont-ils partis, que sont-ils devenus?
Ce sont par millions que des juifs sont morts en Europe, victimes du nazisme.
Ce que je déplore, c'est que le chef de l'église catholique, qui représente une telle force spirituelle dans le monde, considère qu'on peut réintégrer dans l'église des hommes qui tiennent de tels propos... C'est une blessure profonde".
(Nouvel Observateur, 2 février 2009).

Au nombre des blessures et des indignations ressenties au sein du catholicisme français, figure cette pétition de "la Vie" :

- « Je crois que les chambres à gaz n'ont pas existé ».
Cet infâme credo qui n'a rien voir avec le christianisme, nous l'avons entendu jeudi 22 janvier dans la bouche de Mgr Richard Williamson, l'un des quatre évêques intégristes ordonnés en 1988 par Mgr Lefebvre. Ce n'est d'ailleurs pas une surprise : depuis des années, ce prélat multipliait les déclarations provocatrices.
Or, la levée deux jours après des excommunications frappant les lefebvristes a créé une tragique ambiguïté, laissant à penser que Rome réhabilitait le négationnisme ou du moins le considérait comme une opinion licite voire innocente. Cette ambiguïté est tout simplement insupportable. Insupportable, parce que derrière le masque du négationnisme, on découvre le visage du plus hideux antisémitisme."

A lire en complément : "Le loup négationniste", tribune de Jean-François Bouthors dans Libération ce 5 février. Cliquer : ICI.

Si Angela Merkel ne tient pas deux discours sur une question aussi fondamentale qu'un génocide, sa rigueur politique et son refus de toute démagogie n'en contrastent que plus clairement avec les guillemets de Jacques Lang à propos du génocide arménien.

Prenant la parole au colloque de Blois, le 11 octobre dernier, Jacques Lang :

- "J'ai voté la première résolution de l'Assemblée nationale du – entre guillemets, peut on dire, parce qu'il faut là aussi que les historiens fassent leur œuvre – génocide arménien. Je l'ai votée parce que je pensais que c'était un acte de réparation morale, de réparation historique. Je ne sais pas si je réagirais de la même manière aujourd'hui."

Ursula Gauthier :

- "Quelle mouche a donc piqué Jack Lang ? Une vidéo qui circule sur internet montre l'ancien ministre de la Culture faire son mea culpa pour avoir voté la loi reconnaissant le génocide arménien de 1915 - adoptée à l’unanimité le 18 janvier 2001. Il s’agit de la vidéo du colloque organisé à Blois, le 11 octobre 2008, par l'association Liberté pour l'histoire qui fait campagne contre les lois dites mémorielles. Jack Lang réaffirme d’abord son soutien à la loi Gayssot qui pénalise la négation des génocides juif et tzigane. En revanche, avec une contrition visible, il reconnaît être "doublement coupable" d'avoir voté la résolution reconnaissant ce qu'il qualifie aujourd'hui de "entre guillemets génocide arménien".
(…)
A l’heure où 30.000 citoyens turcs viennent de signer une pétition émouvante demandant pardon aux Arméniens pour la "Grande catastrophe" de 1915 et son déni, à l’heure où paraît aux éditions Denoël "Un acte honteux", œuvre majeure du courageux historien turc Taner Akçam, dans laquelle il démontre l’entière responsabilité turque dans le génocide (sans guillemets) des Arméniens, le mea culpa à rebours de Jack Lang fait tache."
(NO, 3 février 2009)

Réponse de Jack Lang :

- "Il faut rappeler le contexte des propos qui me sont prêtés. C'était dans le cadre d'un débat scientifique entre historiens sur la compétence des parlements à édicter des lois mémorielles. Ce ne sont pas les invectives qui feront changer d'un pouce mes convictions. Je continuerai à me battre pour que dans le monde entier le génocide du peuple arménien soit reconnu, et notamment en Turquie."
(NO, 3 février 2009).

Inutile de lui "prêter" des propos qu'il tient librement, en pesant ses mots, en balançant ses phrases. La vidéo n'est en rien manipulée. Monsieur Lang ne peut pas se poser en victime des médias. Aucun chef d'orchestre ne coordonne une chasse à ses propos révisionnistes. En affirmant que le génocide arménien mérite des guillemets et que les historiens n'ont pas encore "fait leur oeuvre", l'ancien ministre de la Culture récupère et réutilise des méthodes ainsi que des arguments typiques des révionnistes : mettre en doute les évidences, faire appel à des "scientifiques" comme si les historiens n'avaient pas suffisamment rassemblé de témoignages et d'archives.

Après la Shoah et les Arméniens, il reste le génocide des Tutsis à remettre en cause pour avoir fait le tour du XXe siècle...