DANS LA MARGE

et pas seulement par les (dis) grâces de la géographie et de l'histoire...

mercredi 9 juillet 2008

P. 9. La mémoire sélective de Bart De Wever

Jusqu'à plus ample informé, la Flandre représentant toujours une composante de la Belgique, c'est donc tout le pays qui est victime de ce cancer politique qui ronge la démocratie sous le nom de N-VA. (1)

Son président, Bart De Wever vient de déposer plainte contre l'écrivain Pierre Mertens. En cause : une tribune publiée dans Le Monde.

Bart De Wever allant chercher son inspiration et se ressourcer auprès de Jean-Marie Le Pen... (Doc. Résistances.be).

Note préliminaire : si les lecteurs belges risquent d'éprouver une impression de "déjà lu" en parcourant cette page marquée par l'actualité immédiate dans le Royaume, restent plus de 70% autres visiteurs de ce blog. Eux qui viennent de France, du Canada, des Etats-Unis, d'Espagne et ne sont pas forcément très informés des subtilités de la politique surréaliste à la belge.

Dans le Monde, 7 décembre 2007, Pierre Mertens signait une tribune : "Un pays {la Belgique} qui ne s'aimait plus". Extrait :

- "Au nord, un nationalisme nauséabond s'est radicalisé, sans qu'on y prenne vraiment garde. L'installation - parfois fantomatique - d'un " cordon sanitaire " autour d'un club ouvertement xénophobe, sinon néonazi, n'empêchera pas d'autres partis, plus " présentables ", de s'unir pour former une entité totalement dévouée, par avance, à la scission du pays. Un seul parti, parmi eux, dirigé par un leader résolument négationniste, qui n'a envoyé au Parlement que six députés (sur un total de plus de 200), tient l'organe majoritaire, dont il est l'allié indispensable, par la barbichette, et de ce fait le pays tout entier. Ces gens-là réclament - entre autres - la division de la Sécurité sociale. Donc appellent de leurs voeux la fin de la solidarité nationale. C'est-à-dire de la nation elle-même."

Bigre : "un club ouvertement xhénophobe, sinon néonazi... un leader résolument négationniste". Membre de l'Académie Royale de Belgique, Pierre Mertens n'a pas plongé sa plume dans de l'encre sympathique.

Dans le magazine Knack du 12 décembre 2007, Pierre Mertens confirmait avoir "soigneusement choisi ses mots". En sa basant sur les affirmations d'un Bart De Wever déniant la collaboration des autorités communales lors des rafles de Juifs à Anvers. A ce propos, aucun doute pour l'écrivain, Bart De Wever avait commis un délit négationniste.

Pour suivre le fil de cette controverse, il faut revenir à octobre 2007. Le Bourgmestre (Maire) d'Anvers, Patrick Janssens, présente officiellement les excuses des Autorités communales pour leur collaboration active sous l'occupation, et d'abord dans les rafles de Juifs en vue de leur déportation vers Auschwitz.
Le temps a vraiment pris son temps pour que cette évidence historique soit admise au niveau politique. A savoir que les troupes allemandes seules n'auraient pu envoyer tant de victimes vers l'extermination si elles n'avaient reçu les aides volontairement efficaces des uns (les collabos volontaires) et la complicité ou la passivité des Autorités morales, judiciaires, politiques du pays ainsi que d'une majorité silencieuse. Des quatre villes du Royaume où furent enfermés les Juifs de Belgique (Anvers, Bruxelles, Charleroi et Liège), la Commune d'Anvers, à commencer par sa police, se distinguèrent des trois autres par une efficacité abominable !

Pogrom du 14 avril 1941 à Anvers. Un acte antisémite signé par des Flamands et non par des Allemands. Avec des Autorités communales qui ne s'y opposèrent en rien. (Photo : Musée Juif de la Déportation et de la Résistance, Malines. DR).

Donc Patrick Janssens exprima la reconnaisance politique d'une réalité historique. Mais il y ajouta des excuses courageuses dans un contexte flamand où l'extrémisme xhénophobe se porte bien. Evidemment, Bart De Wever, président de Flamands purs, durs et nostalgiques, se crut obligé de monter au front. Il confia
au quotidien "de Morgen" :

- "Ce n'est pas la ville d'Anvers qui a organisé la déportation mais elle fut elle-même une victime de l'occupation. Ceux qui la dirigeaient à l'époque ont dû prendre des décisions délicates dans des circonstances difficiles. Je ne trouve pas très courageux de les stigmatiser maintenant."
"Si l'on doit commémorer la Shoah, l'on ne peut perdre de vue la situation des territoires palestiniens occupés où certains ont recours à des techniques qui me font penser à un passé noir, plutôt que de tirer les leçons du passé"...

Puis à la télévision néerlandophone VNT :

- "Quand j'ai dit que les excuses de Patrick Janssens était "gratuites", je faisais seulement allusion au fait qu'elles arrivent trop tard... Cela n'était en rien une remarque négative à l'encontre de la communauté juive. Soixante ans après les faits, alors que tout le monde est mort, le fait de présenter des excuses n'est évidemment pas un acte de grand courage politique. Mais je ne m'y suis jamais opposé, jamais".

Service public, la Radio-Télévision belge d'expression francophone (RTBF) résumait ce scandale au JT du 30 octobre 2007 :

Faut-il une très brève synthèse ?
De Wever réécrit l'histoire : c'est pas nous, c'est uniquement les Allemands.
Il sous-entend un pseudo-monopole juif de la victimologie pour mieux le contester : nous aussi, on est des "victimes". Et passe l'éponge sur les crimes et fautes des Autorités communales : elles ont fait pour le mieux dans "des circonstances difficiles".
Puis il passe à l'amalgame répétitif entre des Juifs gazés à Auschwitz avec la situation dans la Palestine d'aujourd'hui.
Et persiste à se confirmer cynique dans sa conclusion : "tout le monde est mort"... Pourquoi revenir sur ce passé qui dérange ?

Voilà pourquoi Pierre Mertens estima que le président De Wever n'est pas fréquentable en saine démocratie. En témoignèrent d'autres réactions motivées telles une chronique de Paul Hermant sur la RTBF-Matin Première (2) et feu le blog du Judenlager des Mazures (3).


Dans Le Soir de ce 8 juillet, Marc Metdepenningen annonce des suites judiciaires :

- "Pierre Mertens, écrivain, philosophe et chroniqueur au « Soir », risque (théoriquement) de comparaître devant une cour d'assises à la suite d'une plainte pénale avec constitution de partie civile déposée par le président de la N-VA, Bart De Wever.

Pierre Mertens, visé par la plainte pénale de De Wever, a reçu la visite de deux policiers judiciaires. Ils lui ont signifié que le président de la N-VA-A serait disposé à retirer sa plainte s'il recevait des excuses. « Je persiste et je signe. Je ne vois pas pourquoi j'irais m'offrir la palinodie de m'excuser aujourd'hui », nous a déclaré l'écrivain en présence de ses avocats Mes Bernard Maingain et Alain Berenboom. Selon lui, les propos de Bart De Wever sont en contradiction flagrante avec les conclusions du rapport de la Cegess dont le rapport « une Belgique docile » avait établi la collaboration active des autorités anversoises dans les rafles de Juifs en août 1942.

« Je veux que M. Mertens retire ses propos. Il m'a accusé d'un délit, c'est très grave. Je ne m'énerve pas facilement », nous a déclaré Bart De Wever. Elio di Rupo, comme Hervé Hasquin et d'autres politiciens, l'avait aussi taxé de négationnisme. Il ne les a pas poursuivis. « C'est parce qu'eux, ils étaient mal informés et ils dirent cela dans l'excitation des débats télévisés. M. Mertens, lui, a dit quelque chose qu'il a réfléchi », s'explique Bart De Wever. S'agissant d'une plainte au pénal, l'issue de la procédure est soit un non-lieu, soit un renvoi aux assises, car il s'agit d'un délit de presse."


Jean-Marie Le Pen parmi ses "camarades" Flamingants... Il est bien le seul à pouvoir s'exprimer en Français... (DR).

Notes :

(1) Nieuw-Vlaams Alliantie. Avec officiellement à son programme : "Sur le plan politique, la N-VA plaide pour une république flamande, état membre d'une Europe confédérale et démocratique. Le parti estime qu'une communauté forte d'une part et une coopération internationale bien développée d'autre part, répondent le mieux aux défis du 21ième siècle. Le niveau gouvernemental belge s'évaporera entre ces deux pôles et prouve depuis longtemps d'être en contradiction flagrante avec une gouvernance efficace." D'où l'un des slogans raffinés de la N-VA : "Que la Belgique crève !"

(2) 7 novembre 2007.

(3) Avec notamment la page 187 intitulée : "Anvers, ville piège pour les Juifs sous l'occupation." Y fut développé un argument non remis en cause depuis. Sur les 8 convois de Juifs envoyés de Belgique pour des travaux forcés en France, un convoi partit de Charleroi, un autre de Liège, un autre encore de Bruxelles et cinq d'Anvers. Or, autant de Juifs figuraient sur les registres de la Ville de Bruxelles que sur ceux de Charleroi. Cette hémorragie évidente pour Anvers seule, trouve son explication dans la collaboration spécifique qui fit hélas trop mortellement ses preuves dans cette Métropole portuaire.

1 commentaire:

MH a dit…

Nous sommes en 2010 et je relis ce billet qui fait froid dans le dos.